Notre marche pieds nus sur des pierres brisées

Je ne m’attendais pas à être dans une telle situation. Ce n’était pas ce que je croyais être ni ce qu’était ma vie. — Ram Dass (après son AVC)

People - Art et Heather PetersonJe suis aumônier au Salvation Army Addiction and Residential Centre (un centre de traitement de la toxicomanie et internat) à Edmonton en Alberta où je travaille depuis trois ans et demi.

La femme que je connais et que j’aime depuis 38 ans, ma femme depuis 33 ans, a commencé à éprouver de symptômes semblables à ceux de quelque chose qui ressemble à la paralysie de Bell à la fin de mai 2012. Nous avons entrepris une odyssée de neuf mois (c’est-à-dire que nous avons emprunté des sentiers de pierres brisées pieds nus) pour tenter de découvrir ce qui n’allait pas. Nous avons passé une série de tests, d’examens, d’évaluations, de rendez-vous et beaucoup de temps d’attente. J’ai vu Heather changer sur le plan physique, émotionnel, cognitif et relationnel. Je l’ai aidé à descendre l’escalier. J’ai dû l’avertir et lui rappeler les moindres détails, je l’ai regardée et je l’ai écoutée pendant qu’elle luttait pour prononcer le moindre mot. J’ai vu la confusion et la peur sur son visage. Nous avons reçu un immense soutien dans la prière de plusieurs Églises, personnes et organisations, mais rien ne semblait pouvoir changer la situation dans laquelle ma femme sombrait peu à peu. C’est ainsi que, m’apitoyant sur mon sort, la citation de Ram Dass semblait me convenir.

Un certain week-end, notre fille Kait et sa famille sont venus nous visiter. Pendant qu’ils sont allés skier, Heather et moi sommes restés avec notre petite-fille de quatre ans, Cora. Pendant que je nettoyais la cuisine, Cora voulait entendre des histoires. Je lui ai expliqué que je lui en lirais dès que j’aurais terminé, mais elle a alors demandé à sa grand-mère de lui en lire une. J’ai entendu la pénible narration d’Heather qui rendait une histoire des plus simples presque inintelligible et, demeurant près de l’évier, je me suis mis à pleurer. Puis je me suis ressaisi et j’ai aperçu Cora se coller près de sa grand-mère, l’écoutant attentivement, regardant les images, pendant tout ce temps. Le passage biblique que j’avais lu ce matin-là m’est revenu à la mémoire : « En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n’y entrera point » (Marc 10.15). Cora écoutait tout ce qu’elle pouvait retirer de l’histoire de sa grand-mère. Elle ne pouvait certainement pas tout saisir ce que Heather lui disait, mais elle n’avait pas besoin de le faire. Elle n’avait qu’à l’accepter, sachant que sa grand-mère l’aimait.

Comme je réfléchissais à la leçon que Cora venait de m’enseigner, j’ai repensé à toutes les autres choses qui s’étaient produites et que je n’avais pas saisies dans ma version de la vie. Je ne m’étais pas vu travailler auprès des toxicomanes et des alcooliques et aimer ce travail. Je n’ai pas vu les nombreux hommes à qui j’avais parlé, conseillé, enseigné, pour qui j’avais prié et que j’ai conduit au Christ. Je n’ai pas remarqué la cinquantaine et plus d’hommes qui ont terminé le programme de réadaptation pour toxicomanes et alcooliques, ou le bon nombre d’hommes qui ont gardé contact avec nous et qui reconnaissent les effets bénéfiques et continus des changements qui se produisent dans leur vie. Dieu a été présent; il a permis à mes sœurs de réfléchir, dans un sens positif, à leur point de vue concernant Dieu, il a rassemblé plusieurs Églises et plusieurs chrétiens pour prier ensemble, il a favorisé ma propre croissance.

Nous avons finalement obtenu un diagnostic. Heather est atteinte de démence fronto temporale. Elle a 52 ans. Je ne connais pas quelle sera la version de Dieu dans notre quotidien, mais peut-être, peut-être seulement, serai-je capable de dire comme Job : « Quoi! Nous recevrions de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal! » Il y a quelques jours, j’ai lu un passage concernant Jésus au jardin. « Il disait : Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14.36).

Non, je ne sais pas ce qui nous attend, mais je compte sur la fidélité indéfectible de Dieu envers nous qui nous aidera tous deux.

Art Peterson a été mécanicien de machinerie lourde pendant 24 ans avant d’entreprendre un programme de maîtrise en divinité avec une spécialisation dans la relation d’aide pastorale au Taylor Seminary. Après avoir terminé son stage en aumônerie au Royal Alexandra Hospital, il a obtenu un poste au Salvation Army Addiction and Residential Centre à Edmonton en Alberta. Heather et Art ont deux enfants adultes et cinq petits-enfants.