Un héritage de cinquante années en Colombie

En 1966, j’étais encore dans le ventre de ma mère lorsque les premiers missionnaires canadiens, forts d’une grande patience et devant une résistance tenace, ont témoigné de l’Évangile à mes parents. Mon père, un paisa de souche, c’est-à-dire le surnom qui décrit les gens de cette région de Colombie, était têtu, fier et pour lui, les traditions comptaient beaucoup. Alors, il n’est pas surprenant que Don et Rachel Whiteside, les premiers missionnaires du Fellowship à œuvrer en Colombie, aient dû attendre plus d’une année pour voir mon père ouvrir la Bible pour la première fois et constater par lui-même que tout l’attirail associé à l’Église catholique romaine était loin de la révélation de Dieu, de son Évangile du salut en et par Jésus-Christ.

Pour ma part, le fait de jeter un regard rétrospectif de cinquante années constitue un privilège, puisque je suis le premier bénéficiaire de ces efforts missionnaires et l’un des rares chrétiens colombiens à avoir grandi dans un foyer chrétien. À l’heure actuelle, par la grâce de Dieu, je suis également un pasteur de deuxième génération et missionnaire dans mon propre pays. L’analyse du passé n’est pas chose facile. Certains faits peuvent passer inaperçus et d’autres au contraire sont mis en lumière, selon les sentiments et les opinions de chacun. Cependant, notre Dieu souverain connaît tous les événements survenus au cours de ces cinquante années et comment il nous a dirigés vers de nouvelles avenues dans la poursuite des progrès de l’Évangile en Colombie. Quoi qu’il en soit, il nous incombe de jeter un regard sur le passé pour célébrer la magnificence de notre Dieu et sa puissance pour sauver le peuple qu’il a choisi. « Mon âme bénit l’Éternel, et n’oublie aucun de ses bienfaits ! Il a fait connaître ses voies à Moïse, ses hauts faits aux fils d’Israël. » Psaume 103.2, 7 »

L’héritage

La grâce de Dieu vient toujours au moment opportun. Il n’est pas question ici de hasard ou de chance, comme ceux qui ne connaissent pas le Seigneur le penseraient. Non, la grâce de Dieu est issue d’événements qu’il dirige. Cela s’est produit lorsque le Fellowship a envoyé ses tout premiers missionnaires en Colombie au milieu des années soixante pleines de défis. Il n’y a pas d’autre explication pour comprendre les importantes retombées spirituelles qu’ont ainsi suscitées les missionnaires en Colombie au cours de ces cinquante ans. À moins de les considérer comme le produit de la souveraine main de Dieu qui a orchestré et suscité les événements politiques, économiques et sociaux pour qu’ils s’harmonisent et contribuent à la mise sur pied et à l’étendue du travail du Fellowship en Amérique latine.

Le mot héritage est lié à la notion de succession. Au départ, les missionnaires du Fellowship se centraient sur l’atteinte des familles issues de milieux parmi les plus pauvres de la société. Le fait d’établir un héritage qui serait transmis aux générations suivantes requiert une patience infinie, mais par-dessus tout, de l’amour. Je peux en témoigner. À Itagui, seules quelques familles ont composé la première Église implantée par le Fellowship en Colombie. Malgré tout, l’amour que nous y avons reçu de la part des missionnaires était sans pareil. Nous étions témoins des énormes sacrifices faits par ces familles missionnaires qui ont quitté les leurs, se sont dépouillées de leur culture et de leur pays, et qui ont vécu les persécutions des premiers chrétiens colombiens. Ils démontraient également cet amour par l’importance qu’ils accordaient à l’amitié qu’ils nourrissaient envers les Colombiens, envers la culture et envers les traditions de ces derniers. C’est ainsi qu’ils devenaient eux aussi des « Colombiens », savouraient leurs mets, se réjouissaient de leurs fêtes, aimaient leur climat et les gens. Il nous faut souligner les fondations de l’héritage spirituel érigé patiemment dans l’esprit et le cœur des premiers disciples par ces missionnaires :

  1. La formation et l’étude de la Parole de Dieu, favorisaient la compréhension de la Bible des Colombiens et répondait à leurs questions quant au salut par les œuvres et l'appartenance à l’Église de Rome. Ils ont déployé d’énormes efforts pour rechercher des méthodes et des programmes qui assureraient ainsi que les croyants possèdent une compréhension profonde de la Bible tout entière ainsi que les doctrines portant sur la grâce de Dieu. Ce qui a mené aux efforts pour former des pasteurs colombiens.
  2. Un zèle animait ces chrétiens qui voulaient répandre l’Évangile dans d’autres villes et d’autres voisinages. À cette époque, pour ces missionnaires, il était fréquent de convier des familles colombiennes converties à se rendre avec eux dans d’autres villages pour y prêcher l’Évangile. Je me souviens combien j’étais enthousiaste lorsque Dan et Judy Chapman ont invité notre famille à visiter Fredonia, un village situé au milieu des montagnes de la province d’Antioquia, où foisonnaient les plantations de café et à cette époque, qui constituait à l'époque, un périple de quatre heures sur les routes périlleuses de Medellín. Pour attirer l’attention des villageois, nous, Colombiens, avons eu l’occasion de chanter en anglais sans même connaître la signification des paroles que nous chantions ! En fait, le seul chant que nous avions appris était « Si tu es heureux et que tu le sais… » avec le plus terrible accent qui soit. Nous avons eu l’occasion de donner notre témoignage et expliquer comment Dieu avait secouru notre famille de l’alcoolisme et de l’autodestruction et l’avait ainsi sauvée par la foi en Christ. Au moment d’écrire le présent texte, je me souviens que l’auditoire se moquait de nous ; poussant la violence de leur persécution jusqu’à nous jeter des pierres puisque pour bien des gens, nous avions trahi les traditions les plus ancrées de notre pays.
  3. Ces premiers missionnaires étaient animés de la conviction du besoin d’atteindre ceux qui ne l’étaient pas encore. Au fil des années, ils avaient bien compris qu’ils avaient été appelés pour implanter des Églises dans des endroits reculés où il n’y avait aucune congrégation chrétienne. Dans les années 80, ce principe était fondamental, puisque les efforts ont été redirigés pour répondre aux besoins de la population croissante d’universitaires et ceux de la classe moyenne. Cette démarche a orienté l’implantation d’Églises et s’est poursuivie jusqu’à ce jour.

Puis la drogue est apparue

Bible verse pics - Spring L'Essor D. CardonaAu cours des années 80 et 90, le trafic de la drogue, accompagné de la corruption a conduit ce beau pays vers l’enfer. Ce qui a poussé les organisations chrétiennes à rapatrier leur personnel missionnaire. Lorsque la situation s’est améliorée en Colombie, certains d’entre eux y sont revenus. Cependant, la Colombie, considérée aujourd’hui comme étant l’un des meilleurs pays d’Amérique latine, n’a jamais retrouvé la force missionnaire dont elle bénéficiait dans les années 70. Pour notre part, le manque de missionnaires a engendré un nouveau tournant. C’est ainsi qu’à la fin des années 80, la majeure partie de nos efforts se sont centrés sur l’évangélisation dans les universités, au sein de la classe moyenne et parmi les professionnels, où il y avait de plus grandes ouvertures pour le rayonnement de la direction pastorale ainsi que de nouvelles implantations d’Églises. L’explosion du trafic de stupéfiants, qui constituait bien sûr une grande catastrophe pour la Colombie, a été utilisée par Dieu.

Elle a ainsi solidifié les fondations établies au cours des premiers vingt-cinq ans d’œuvre missionnaire dans ce pays. Elles ont eu pour résultat un mouvement autonome et dynamique d’implantation de vingt-cinq Églises. En effet, les sept congrégations El Redil ont ainsi créé un modèle. Ainsi, à l’heure actuelle en Colombie, le Fellowship n’a plus qu’une seule composante missionnaire sur le terrain : ma femme et moi ! Dieu ouvre la voie à des moyens nouveaux pour susciter des partenariats avec les Canadiens pour implanter de nouvelles Églises, former les dirigeants pastoraux, pour notre engagement dans des initiatives conçues pour contrer l’injustice sociale et s’investir dans les missions.

De l’accueil à l’envoi des missionnaires

Le travail missionnaire n’est jamais terminé. Nous ne devrions pas conclure que le travail est achevé en Colombie, simplement parce qu’il y a moins de missionnaires là-bas. L’objectif du Fellowship à l’étranger est d’amener pasteurs et ouvriers colombiens à l’étape où ils deviendront nos partenaires pour accomplir le Grand Mandat. Pour y parvenir, au cours des quatre dernières années, nous avons contribué à l’implantation d’Églises, à la formation théologique et à l’établissement de la justice sociale et notre effort a été orienté vers l’aide aux Églises colombiennes pour qu’elles parviennent à maturité dans leur engagement missionnaire. À l’heure actuelle, notre Fellowship soutient cinq Églises baptistes colombiennes qui ont relevé le défi d’atteindre plusieurs groupes indigènes de leur pays. Ces Églises mobilisent leurs ressources financières, envoient des équipes de missions à court terme et prient avec ferveur pour ces personnes non atteintes. La Colombie compte plus de soixante-dix groupes indigènes dans les régions éloignées du pays. La plupart d’entre eux n’ont pas accès à une version intégrale de la Bible dans leur langue autochtone.

Nous avons également identifié des populations urbaines non atteintes, semblables à la communauté des personnes sourdes. À ce titre, la province d’Antioquia à elle seule compte plus de 25 000 personnes sourdes. L’Église El Redil Estadio centre ses efforts missionnaires sur ce groupe. Au cours de l’année qui vient de s’achever, plusieurs activités ont été conçues par cette Église pour établir des liens auprès des gens de la communauté sourde dans sa communauté, par des gestes empreints d’amour et de service, ainsi que par la prédication de la Parole de Dieu. Certes, des défis se posent à elle, comme celui de traduire les services du culte dominical simultanément. Mais elle entretient également des rêves, comme celui d’avoir son propre lieu d’adoration où les chrétiens pourraient servir la population malentendante non seulement avec l’Évangile, mais muni de tout un réseau de soutien psychologique et social qui puisse aider cette communauté vulnérable, en proie à la maltraitance et au rejet. Notre engagement missionnaire ne s’arrête pas ici. Nous rêvons de soutenir les efforts déployés par le Fellowship ailleurs dans le monde, comme en Espagne où le Fellowship a commencé une œuvre d’évangélisation et d’implantation d’Églises.

Le Grand Mandat comporte un cycle d’implantation et de récoltes. Les vingt-cinq premières années de l’œuvre missionnaire en Colombie ont été marquées par l’implantation, parfois même par le fait d’apprendre à ensemencer ! Les vingt-cinq années qui ont suivi ont été celles de la récolte de cette semence et parfois, nous avons eu à apprendre à récolter ce que Dieu avait semé dans sa grâce. Nous voilà mis au défi d’être humblement unis en tant que témoins de l’œuvre de Dieu en Colombie ; et de ce pays, au fur et à mesure que nous mobilisons l’Église colombienne et ses dirigeants pour relever le défi de l’implantation d’Églises, celui de l’établissement de la justice sociale et celui des missions.

« Éternel, j’ai entendu ce que tu as annoncé, j’ai de la crainte, Éternel, devant ton œuvre, accomplis-la dans le cours des années ! » Habaquq 3.2

—Diego et Claudia Cardona ont servi en Colombie comme missionnaires associés au Fellowship à l’étranger depuis 1998.